Un peu après Saint-Jean-Pied-de-Port (que c'est long à taper !), les chauffeurs et copilotes redoublent de vigilance pour ne pas écraser les fantômes de Saint-Jacques, qui en vélo ou à pied, remplacent l'habituel marquage au sol, s'égaillant comme grains de chapelet le long de ce serpent de bitume. Pas d'accident. Mais à part des pèlerins qui sont parfois des pèlerines, rien à regarder, sinon le thermomètre de la voiture qui descend à mesure que l'on monte.
Enfin, le parking de la Vierge d'Orisson (1096 m). Confortable, spacieux. Sur certaines cartes, cette Vierge est aussi appelée Biakorri. Il est patent que cette personne historique, fatiguée sans doute de la surveillance appuyée d'un âne et d'un bœuf, ou gênée par la visite inopinée de trois personnages en méharis très bling-bling au commencement de sa carrière, n'est plus apparue qu'à des personnes assez seules, plutôt des enfants du peuple, romantiques par essence, souvent aussi directeurs des ressources ovines de leurs clans.
On peut sous sa protection, se préparer pour la promenade, hors de cet épais nuage qui nous a pourri le paysage durant la montée. Nous sommes en même temps scrutés par l’œil rigolard d'un berger équipé de son bâton-étançon et de ses chiens qui se demandent bien quel plaisir on peut avoir à arpenter, à pied, ces montagnes qui restent pour eux comme un atelier d'usine.
Direction le fond de la vallée par une belle route aux bermes assez larges pour permettre aux genoux de ne pas forcer. L'espace est bien utilisé. Les bordes semblent d'abord saupoudrées au hasard. Elles sont au contraire disposées de façon rationnelle pour économiser l'énergie des hommes et des troupeaux.
Passons à proximité des cabanes d'Elhusaro (950 m). On monte maintenant plus qu'on ne descend, sur piste ou sentier. A la banane, alors que tout le monde, calmement, mange et boit et s’enthousiasme du paysage et du passage de quelques lambeaux de brume qui volettent dans l'azur, survient un drame inouï : un équipement rose à écran, fleuron de la technologie de pointe sud-coréenne ne répond plus. Au grand dam de sa dompteuse, très abattue sur le moment. Et puis, il finit par sonner tout au fond du sac à dos. Une bien savoureuse facétie qui a serré les cœurs et éprouvé les nerfs !
Par quelques miracles, parvenons à joindre les cabanes d'Oilaskoa (1071 m) où il faut plonger tête en avant dans le vallon du torrent de même nom franchi par un gué des plus faciles. Hop !
Pleine pente, dans l'herbe fine, puis un semis de rochers fleuris, montée jusqu'à prendre pied sur la route D 428 que plusieurs personnes sont contentes d'atteindre. Une dame parmi les plus braves, doit, un peu à sa ténacité et beaucoup aux vertus des plantes et épices de l'eau de mélisse d'atteindre en pleine forme ce refuge plat, ombragé et ventilé. Un petit coup de mou car sa jumelle n'est pas à ses côtés ?
Anita fait le bilan fraîcheur des membres de l'expédition. C'est qu'il reste encore quelques mètres de montée, et l'ascenseur est en panne.
Trois personnes font alors sécession. Elles se rendent directement au col d'Arnosteguy (1236 m) pour attendre le reste de la troupe en se promettant de manger joyeusement au sein des troupeaux. Le reste enquille (1183 m) la route qui s'élève doucement en lacets à l'orée du bois de hêtres d'Oihanbeltx.
Dans un virage nous quittons le goudron pour escalader un petit sommet décapé vite atteint (1329 m). Un peu de roches acérées. Un minimum de sport avant le repas, à la grande satisfaction de presque toutes et tous. Du beau calcaire, solide sous le pied. Laissons ainsi les cabanes d'Urkulu sur la gauche. Bonnes senteurs animales puisque nous sommes sous le vent de ces luxueux habitats. Montons dans du mixte roches-herbe rase et tendre, qui par un petit col, qui directement vers le but ultime de la journée.
Nous sommes accueillis par des troupeaux de chevaux, en famille, hennissants, enivrés du panorama incomparable qu'ils contemplent dès qu'ils lèvent le museau de leur assiette posée par terre. Beaux alignements d'affleurements rocheux, blancs, soulignés par des bandes parallèles d'un vert éclatant, émaillées de pas mal de déjections de couleurs variées.
Même si le brouillard a fait place au franc soleil, nous ne distinguerons pas la cabane de Nabahandi chère au cœur de notre guide, masquée par quelques bosses rocheuses. Dans un air du nord bienvenu sur nos vêtements humides d’efforts continus, nous mangeons à proximité de la tour qui tient le coup depuis longtemps. Côté nord, tout ou presque est dans les nuages. Mais dans les autres directions, c'est un show de la nature où chaque acteur est une star. Le Pic d'Ory de la Troupe de l'est le dispute ainsi à l'Orzanzurieta qui s'efforce, avec ses petites moyens, de représenter dignement la Compagnie du sud. Au loin, un peu de neige. L'Auza et l'Adarza sont aussi de la fête... On ne s'en lasse pas.
De l'Urkulu, on ne voit pas Jurançon, mais finalement, ce n'est pas grave. On le boit pour célébrer le futur anniversaire de l'ambianceur et photographe du groupe. Bonne humeur générale. Peut-être l'ivresse des cimes ? Nous établissons notre camp sur une terrasse située vers 1415 m. La tour est-elle creuse, est-elle construite plus haut que le cairn placé sur le sommet voisin, à proximité de la BF 206 ? Voilà le principal de la discussion pendant que les victuailles sont dévorées.
Ceux qui le veulent escaladent la tour qui serait à l'altitude de 1423 m selon une pancarte installée par G. S. San Andres E.T. Que vient faire ici le petit extraterrestre ?
Quand on est repus, micro-sieste.
Un homme qui ne fait pas confiance au Loto du patrimoine tente de réparer la tour à la seule force des bras. Sans succès. Ne pas se décourager.
On dévale la face sud pour reprendre au col (pas au cou) nos trois amies réfugiées sur le plat, les oreilles dans les sonnailles, se reposant parmi les multiples mufles tondeurs, crèmes, bizarrement dépourvus de cornes.
Nouvelle séparation. Pendant que le gros de l'expédition rejoindra les voitures par la route, une équipe mixte de quatre masochistes s'élancera sur une voie incertaine.
Le long de la frontière, puis à droite, franchement en France à partir de la BF 201, une belle piste conduit ces voltigeurs alertes sur un premier tertre (1385 m) recelant de très visibles traces de fortifications. Un petit col d'herbe (1344 m) pour prendre de l'élan.
Encore plus haut, c'est le cairn du pic de Leizaratheka (1409 m) et des traces ténues de fossés. Aperçu du col de Bantarte plus bas, à gauche, dans une brève trouée solaire.
Et, par des sentes d'animaux pour éviter le dallage désordonné de la crête de nouveau dans le brouillard, on retrouve le chemin de Saint-Jacques.
Le monument qui se souvient du passage, non des palombes tombées victimes de plombages abusifs, mais des pilotes alliés de la dernière guerre mondiale,
puis la célèbre croix Thibault, enfin la route goudronnée qui nous ramène dans le brouillard collant et mouillant aux 3 voitures. La jonction entre les deux groupes a lieu à 3 ou 4 km du parking. Comme des aveugles, on passe à côté de Château Pignon sans le voir dans ce théâtre d'ombres où l'on entend les voitures et les gens bien avant de les voir...
Au final, on se compte : quatorze personnes bien contentes d'être en sécurité.
Une boisson au refuge international. Descente sans visibilité. Et retour en douceur à Marouette, sous le soleil.
Merci à Anita pour cette magnifique et longue promenade passée du menu à la carte. Une randonnée en kit.
Distance : 16 km. Dénivelé : 600, 800 ou 900 m, au choix. Altitudes atteintes : maxi 1420 m ; mini 930 m.
Jean-Louis L.
Photos :
Jean-Michel
Mado.